L'Alliage..selon Arnaud Montebourg
Les attaques invraisemblables pleuvent sur Ségolène Royal, au point que Nicolas Sarkozy en fait désormais un point d'appui de son offensive contre elle. La gauche offre des armes au chef de l'UMP contre la seule candidate socialiste en mesure de le battre.
Ceux qui nous ont conduits au 21 avril 2002 se rassembleraient-ils pour une nouvelle fois nous infliger le même résultat ?
Quels sont donc les reproches qui lui sont adressés ? Son prétendu vide ?
Ceux qui portent ces attaques feraient bien de relire ses discours et ses déclarations depuis plusieurs mois.
Les militants du pays minier du Pas-de-Calais ont entendu Ségolène Royal, à Cambrin, rappeler dans son discours que «la gauche doit imposer la juste hiérarchie entre le capital et le travail et faire en sorte que le travail soit moins taxé que le capital».
Ils ont applaudi à la phrase : «Nous ferons en sorte que le capitalisme financier soit mis sous contrôle et refuserons de laisser broyer les hommes et les femmes par la dynamique du libéralisme sauvage.»
La foule de Frangy-en-Bresse l'a également applaudie à l'idée de «la création d'un syndicalisme de masse pour rétablir le rapport de force, aujourd'hui totalement déséquilibré entre les dirigeants et les salariés». Elle ajoutait : «C'est l'intérêt bien compris du pays qu'un syndicalisme de masse oblige à la négociation collective.
C'est dans les pays où les taux de syndicalisation sont les plus élevés qu'il y a moins de licenciements collectifs et qu'il est moins nécessaire de recourir à la grève pour être entendu.»
Ce ne sont, à l'évidence, pas les idées de Nicolas Sarkozy. Les positions de Ségolène Royal sont enracinées dans l'héritage du mouvement ouvrier et sa défense des droits sociaux, en s'inspirant d'expériences socialistes concluantes du nord de l'Europe.
Elle cherche à renforcer le poids du syndicalisme et à modifier en profondeur les comportements des acteurs du capitalisme dérégulé ; elle cherche l'outil de réhabilitation du prix et de la valeur du travail dont elle a fait un élément central de son discours.
La candidate a en vérité ouvert le dossier épineux de la démocratie sociale. En évoquant l'adhésion obligatoire aux syndicats, que madame Thatcher en son temps avait réussi à briser, nous sommes là plus proches de l'antithatchérisme le plus ferme que des oeuvres tièdes de son successeur Tony Blair.
J'ajouterais, non sans malice, que bien des socialistes qui ont voté non le 29 mai 2005 devraient s'y retrouver !
Est-il également permis d'évoquer le concept soudain apparu si novateur d' «ordre juste» qu'elle a lancé dans son discours de Rodez le 12 mai dernier et qui lui a valu un procès en «nomadisme idéologique».
Pourtant, il ne s'agit que du rappel de ce que doit être la République : parce qu'elle est égalitaire, elle ne peut s'autoriser à être sévère que si elle l'est à l'égard de tous, donc juste.
On ne peut lutter contre les zones de non-droit dans la République que si on assume et organise la lutte contre les privilèges judiciaires de ceux qui détiennent l'argent, la puissance et le pouvoir. A Rodez, Ségolène Royal évoquait dans ces termes l'ordre juste : «un principe fondateur d'un ordre solidaire autrement ambitieux que l'ordre aux petits pieds du tout sécuritaire sur fond de dérive vers le précariat pour tous».
Elle ajoutait : «Alors que l'insécurité économique et sociale gagne du terrain, le comportement de la puissance publique se doit d'être irréprochable. Une mauvaise conduite à la tête de l'Etat constitue un vrai facteur d'insécurité, car pourquoi respecter des règles dont les puissants et les gouvernants s'affranchissent ?»
L'ordre juste est hautement supérieur à l'injustice de l'ordre autoritaire de l'UMP. Et il est hautement préférable au désordre injuste que conduirait une République aux abonnés absents, incapable de donner un sens à la loi républicaine. Ce sont finalement là des analyses que ne récuserait pas un Jean-Pierre Chevènement.
C'est ici que prend sa force la «révolution démocratique» que Ségolène Royal entend accomplir dans la construction de cette République nouvelle. Si la loi doit assurer la justice tout en trouvant la force de s'appliquer et d'ordonner la société, les conditions de sa discussion et de sa fabrication doivent alors être reconsidérées en profondeur.
La «révolution démocratique» est l'instauration d'un rapport de responsabilité entre les dirigeants mandatés pour décider et les citoyens dépositaires de la souveraineté.
Elle est aussi l'organisation concrète du «droit égal» de ceux qui n'ont pas de titre à gouverner à s'occuper des affaires communes. «Notre projet affirme la compétence également légitime des citoyens ordinaires, ce pouvoir des "n'importe qui" toujours dénié par les élites autoproclamées de la naissance, de la richesse ou de la cooptation endogame.»
Ce sont là des orientations qu'on pourrait retrouver dans les choix de tous les promoteurs d'une VIe République, quels qu'ils soient, Christiane Taubira ou moi-même.
Sur les problèmes environnementaux, l'ancienne ministre de l'Environnement tient un langage à la hauteur de l'urgence planétaire, en faisant de la fin du pétrole le point central de la restructuration de l'ensemble des politiques publiques : «C'est une question de survie, l'environnement doit donc être intégré à toutes les décisions publiques et privées qui sont prises.»
Elle prend le soin d'ajouter : «La protection de l'environnement est liée à la démocratie et à l'exigence de transparence. Tous les mensonges officiels que l'on a connus à propos du nuage de Tchernobyl, de l'amiante, des OGM, ont permis de ne pas remettre en cause des habitudes, des puissances financières, des rapports de force et des intérêts corporatifs.
Quand il y aura la transparence totale et quand l'information scientifique sera donnée sur l'impact de la dégradation de l'environnement, sur la santé publique, alors les gens se bougeront, et les politiques prendront les bonnes décisions.» Ce sont là des propos auxquels Dominique Voynet n'aurait pas enlevé une virgule.
Voici comment Ségolène Royal construit pierre après pierre une synthèse originale des différentes gauches. Elle en fabrique un nouvel alliage, original, novateur et offensif, en rapport avec les besoins profonds de la société française. Les socialistes que nous étions avaient sous-traité, dans l'attelage cahotant de la gauche plurielle, aux autres partis de gauche des morceaux de l'appareillage idéologique des socialistes, peut-être par incapacité de regarder le monde tel qu'il était devenu. Le projet et le candidat socialiste de 2002 ne parlaient plus à quiconque, sauf au vide politique que le parti avait installé en lui-même.
Voilà pourquoi la rénovation de la gauche passe par la nouvelle donne de Ségolène Royal.
Celle-ci dépasse les anciennes contradictions de la gauche plurielle, les anciennes querelles qui appartiennent à la génération antérieure ainsi que les récents désaccords sur le TCE.
A Frangy, elle déclara : «Quels qu'aient été nos votes lors du référendum, nos raisons étaient voisines. Nous voulions les uns et les autres une Europe plus protectrice, plus citoyenne, plus sociale et plus politique.
De l'Europe que nous voulons, à l'Europe telle qu'elle est, nous mesurons la distance et le travail qu'il reste à faire, mais c'est le rôle de l'idéal que d'aider à transformer le réel. Il n'est évidemment pas question, pour les socialistes, de soumettre à nouveau à la ratification un traité constitutionnel que le peuple français a rejeté.
Notre projet prévoit de proposer l'élaboration d'un texte court, visant seulement à mieux organiser, démocratiser et responsabiliser les instances européennes. Il devra bien sûr, une fois négocié, être soumis à l'approbation du peuple.»
Ségolène Royal renvoie aux significations profondes de la victoire du non en 2005, laquelle exigeait que la démocratie exerce sa maîtrise sur le destin de notre société, et demandait à retrouver la force perdue du bulletin de vote face à l'emprise des marchés et de l'économie.
Dans les différents éléments d'identité de sa candidature syndicalisme de masse, ordre juste, révolution démocratique, excellence environnementale , Ségolène Royal ouvre le chantier de la reconstruction du politique et cherche à organiser les retrouvailles avec la force d'agir sur la réalité.
Il est temps de se rassembler autour de cette nouvelle donne, à partir de nos propres convictions, sans en abandonner aucune, pour contribuer à la victoire d'une gauche enfin rénovée qui sera celle de toutes les gauches.
Le temps nous presse et l'audace qui nous a manqués jusqu'ici est au rendez-vous.
Rejoignez-nous.
Libellés : Arnaud Montebourg
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