12 octobre 2006

Inventons la gauche d'aujourd'hui (T.Mandon)


Inventer la gauche d’aujourd’hui (par Thierry Mandon)

I. La gauche, entre traditions et abandons.

I-1. Panne idéologique :

Depuis la vague de dérégulation commerciale et financière née de l’offensive libérale de la fin des années 80, le « Socialisme »* se cherche.

Dans de nombreux pays il gouverne, souvent avec efficacité (Angleterre, Pays nordiques, Espagne…) mais le cadre théorique de son action reste à bâtir. Confronté aux effets d’une mondialisation libérale sans limite qui remet en cause ses outils traditionnels d’action (Etat ; système de protection sociale puissant ; compromis capital/travail par la négociation ; fiscalité et redistribution), il reste paralysé par le vertige de repenser un cadre d’action global après l’effondrement du système idéologique communiste qui a emporté avec lui l’idée même de cadre théorique.

Condamné au pragmatisme, le « Socialisme » peut convaincre quand il obtient des résultats. Mais, faute de perspectives, il peine à mobiliser durablement.

I-2. Un cadre d’action dépassé :

Le « Socialisme » a le discours de l’internationalisme mais des pratiques exclusivement nationales. Il entend mobiliser autour des idéaux de solidarité entre les peuples, de justice
à l’échelle mondiale et de respect des équilibres environnementaux planétaires.
Mais son cadre d’action est strictement national.

En découle une double frustration :

 Frustration née de l’absence d’outils internationaux efficaces pour domestiquer
une mondialisation libérale sans rapport avec les espoirs internationalistes
(d’où le non Européen, la contestation alter mondialiste…)
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* entendre : le Socialisme et la Social Démocratie

 Frustration née de l’inefficacité des outils traditionnels de la gauche dans le cadre national
(Etat, redistribution, services publics…)

Doublement impuissant, internationalement et nationalement, le « Socialisme » voit son socle sociologique se restreindre.

Les catégories de la population exposées à la concurrence internationale et à ses effets (ouvriers, employés, précaires…) abandonnent la gauche (en France en 2002 : 16% des ouvriers et 17% des employés seulement ont voté Lionel Jospin) qui devient le parti des classes moyennes.

Cette dégradation n’a pas la même force dans tous les pays.
Elle n’empêche pas de gagner les élections.
Mais l’assise sociologique et le soutien populaire pour la réforme deviennent
beaucoup plus fragiles.

Dans le même temps, contestations d’extrême droite et d’extrême gauche se développent.

I-3. Les deux tentations : Pour retrouver une identité et un projet mobilisateur auprès des couches populaires, le « Socialisme » est partagé entre deux tentations :

 Le retour aux traditions : Assumant clairement son identité nationale, la gauche traditionnelle prétend mobiliser pleinement les outils classiques de la gauche : Fiscalité, augmentation des salaires, soutien aux services publics, encadrement des droits du travail, engagement plus fort de l’Etat…

Elle reproduit en l’adaptant à peine l’illusion du socialisme dans un seul pays, sans expliquer comment, dans une économie mondialisée où l’argument public se fait rare, elle peut financer cette relance de l’effort public ou comment elle sort d’une vision où tout est demandé à l’Etat et peu aux citoyens.

 Les abandons : Sous prétexte de s’adapter, la gauche prétendument moderne soumet ses politiques au vent libéral. Moins d’impôt, plus de flexibilité, des services publics compétitifs, un Etat souple…

Cette gauche ne se distingue de la droite que par le degré d’intégration des pratiques libérales et par sa volonté affichée d’avoir des objectifs sociaux.
Mais, le virage proposé ne lui permet pas de fixer durablement les couches populaires qui ne se retrouvent pas dans ses abandons.
Soit elle devient le parti des couches moyennes salariées, abandonnée par les couches populaires ; Soit elle déçoit dès qu’elle gouverne.

En s’attachant à élaborer une synthèse rénovatrice, Ségolène Royal essaie d’ouvrir une voie nouvelle pour répondre à la crise d’identité.

Ni troisième voie (qui était, de fait, la gauche d’abandon) ni simple reformulation de l’identité nationale, la synthèse rénovatrice ne postule pas à élaborer une « autre politique », mais cherche à bâtir une politique autre (cf. II-2. et II-3.).

II. A propos de la primaire :

II. 1 Un certain nombre de candidats ou pré-candidats (Laurent Fabius, Lionel Jospin) essaient de transformer la primaire en affrontement entre ces deux visions.


Se plaçant résolument dans le camp de la tradition, ils instruisent en permanence un procès en abandon/trahison contre Ségolène Royal. Ce faisant, ils essaient de faire de leur faiblesse –revendiquer des outils dépassés- une force, le retour à l’identité traditionnelle.

II-2. La synthèse rénovatrice proposée par Ségolène Royal (synthèse, car réunissant au sein du PS du oui et du non, la tradition « étatiste » et la tradition « sociétale », les cultures « nationales » et « Européennes ») propose de sortir de l’affrontement vain entre tradition et abandon.

Elle cherche à inventer les voies de la gauche d’aujourd’hui, construites autour de plusieurs compromis :

 Protection (Etat, sociale) / Responsabilité

 Action nationale / Organisation politique Européenne

 Capital / Travail (par la négociation renforcée)

 Objectifs sociaux / Objectifs environnementaux

 Espace public / Sphère privée (famille, égalité hommes/femmes)

 Délégation / Participation (rénovation démocratique)

II-3. La synthèse rénovatrice permet l’élargissement de la base sociologique socialiste par
des thématiques qui l’ouvre :

- Aux couches populaires (revalorisation du travail et du fruit de l’effort, organisation de rapport
de force consolidée par la relance du syndicalisme, sécurités)

- Aux couches moyennes / intellectuelles (Pleine intégration des objectifs environnementaux, ambition Européenne)

- Aux forces de la création (Jeunesse, chercheurs (innovation, services…), culture)

II-4. Inventer la gauche d’aujourd’hui implique de concilier utopie (plus de justice, d’égalité,
de fraternité mondiale) et pragmatisme (comment rendre plus efficace l’éducation nationale ;
prévenir la délinquance ; valoriser le travail…). Cela passe par la définition d’utopies concrètes (Rénovation démocratique, Europe politique, valorisation du travail…).

Nous pourrions bâtir le cadre de notre campagne autour de la déclinaison d’un certain nombre
(à préciser) de ces utopies concrètes pour la gauche d’aujourd’hui.

Thierry Mandon

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